jeudi 29 mars 2012

La liste du Dormeur éveillé


Je me souviens que dans les listes que j’aime, il y  a celle-là :

Vœux non exaucés (à ce jour)

Traverser l’océan atlantique à bord d’un cargo mixte et pénétrer dans le port de New York accoudé au bastingage du pont avant.
Être médecin de campagne et accoucher une jeune femme aux joues roses dans sa ferme isolée.
Écrire un roman de cinq cents pages que ses lecteurs trouveront trop court.
Savoir dessiner comme Dürer, peindre comme Bonnard.
Interpréter Le Misanthrope et Oncle Vania à la Comédie-Française.
Faire rire aux larmes les spectateurs d’un café-théâtre et qu’ils en redemandent.
Gagner un tournoi de tennis contre un joueur beaucoup plus fort que moi.
Nager le crawl en souplesse un kilomètre.
Être le personnage inoubliable d’un roman, Porthos par exemple ou le Prince Mychkine.
Avoir un tableau de Caspar David Friedrich dans mon bureau.
Rester en silence au moins un mois dans un monastère.
Ne pas me réveiller d’une anesthésie générale.
Avoir une petite sœur ou une grande, ça dépend des jours.
Avoir connu ma mère petite fille en train de jouer en riant avec son frère.
Avoir connu mon père en jeune homme furtivement indocile.
Être doué pour quelque chose, n’importe quoi : la course à pied, le piano, la maçonnerie, le jardinage, le trapèze volant.
Mettre un point final à ces pages et écrire une autre rêverie à défaut de pouvoir être un visionnaire.

J-B Pontalis, le Dormeur éveillé.

Un grand merci à Consuelo, pour ces lignes.

dimanche 25 mars 2012

une semaine parisienne

  
Je me souviens qu'une semaine parisienne nous conduit hors de Toulouse qui en profite pour vivre des jours de drame, de tuerie, de haine, de deuil …
Notre chambre est grande et nous nous y posons peu. Dîner chez M. et B. de délicieuses pizzas blanches, dîner chez V. et A., nous parcourons Paris, sommes accueillis dans de petits appartements. Des salles du Louvre sont pour nous presque seuls, j’approche mon appareil photo  des pieds d’un saint Sébastien, d’une jeune femme de Botticelli aux voiles flottants, aux orteils gigantesques, je capture une nature morte de Chardin, plaisirs intemporels du verre de lait, des biscuits, des pommes. François pose pour moi sous les néons de la maison rouge. Nous nous arrêtons souvent dans des cafés. Nos téléphones ne se joignent pas, mais nous nous retrouvons dans la rue pour aller ensemble dans un magasin japonais où nous achetons des vêtements bleus. Je dis à Antoine que je suis végétarienne le jour où nous mangeons deux fois indien et où f. décrète que, finalement, il n’aime pas ça. Une artiste peint des paysages dans une maison au fond d'une cours - jardin, un peu comme dans le film d'Agnès Varda. Je passe une après-midi entière dans un magasin grand et chic muni de deux restaurants et d'un salon de thé en y donnant trois rendez-vous successifs. Le très grand plaisir de déjeuner avec V., de faire des projets ensemble, pour que l'histoire ne s'arrête pas là. Finalement, nous n'aurons pas le temps d'aller au cinéma.

samedi 17 mars 2012

Vieux et jeunes, dansez


Je me souviens du jour où j’ai vu Kontakthof avec mon père. Il avait soixante quinze ans et ses jambes étaient fatiguées, elles avaient décidé qu’elles ne le porteraient plus très longtemps. Sûrement, en avaient-elles fait assez. Mais les jambes des danseurs, elles, allaient bon train. Et le sourire de mon père aussi. Certains danseurs avaient son âge ; ils courraient, valsaient sur scène, questionnaient leur corps d’homme et de femme, vieillissant et séduisant, se séduisant.
Je me souviens qu’il voulait que le spectacle tourne dans les maisons de retraites afin que les vieux retrouvent le sourire, que leurs plaintes se calment.
Tout de même, à la sortie de la salle de spectacle, trois ambulances, au cas où …
Après, seule, au cinéma, j’ai vu de très jeunes gens, à ce même point de contact, faire l’apprentissage de leur corps, de ce qu’il saura exprimer en bougeant. Au théâtre, j’avais souri, au cinéma, j’ai pleuré. Mais les deux, c’était beau.

mardi 13 mars 2012

le printemps arrive

 
Je me souviens que chaque année, deux fois par an, exactement, une grande question existentielle se pose à moi et qui concerne une part délicate de mon individu : les pieds. La question est : quand enlever les chaussettes et collants au printemps, quand les remettre à l’arrivée de l’automne ? Ce « quand » est fondamental. Car une fois retiré ces pièces vestimentaires (prenons l’exemple du printemps qui arrive), il ne m’est pas possible de les remettre, ne serait-ce qu’une journée. Je ne saurai expliquer cette rigueur, voire cette rigidité, mais c’est ainsi.
Alors, deux fois par an, je goûte le frais qui arrive par le bas. Bientôt donc, j’irai par la ville, les pieds nus dans les chaussures, après des mois d’enfermement. Je suis parfois heureuse de rentrer, en fin de soirée, et de glisser mes pieds froids dans de délicieuses chaussettes accueillantes, avant de goûter un verre de vin sur la terrasse, là où nous retrouvons place en même temps que mes pieds se libèrent.

Ma grand-mère disait « On attrape froid par les pieds « Ma mère, elle, « tu ne trouveras pas de mari », parce que je dormais avec des chaussettes. C’est fou ce qu’on attrape ou pas, par les pieds.
Je suis rarement enrhumée et j’ai un mari …Comme quoi !

samedi 10 mars 2012

de l'évanouissement


Je me souviens m’être évanouie deux fois. La première fois, d’une douleur survenue quelques secondes avant le moment où je l’attendais. L’infirmière avait dit « on compte jusqu’à trois », mais elle a retiré vivement le drain à deux. Le saisissement de l’intensité de cette douleur et surtout, l’étonnement qu’elle soit là avant … je perds connaissance quelques secondes. Un médecin m’expliquera, des années plus tard, que mon mal de dos chronique vient de là, de cette surprise-là, qui fera que vingt ans durant, je tiendrai mon corps dans un geste de protection de ce lieu trahi et douloureux.
La deuxième fois, c’est au moment où je découvre que je viens d’être piquée par une cinquantaine de minuscules moustiques (je suis allergique !) qui se déplaçait en nuage rapide et invisible. Je regarde mes pieds, mes chevilles et en même temps que je vois la myriade de points rouges, une démangeaison incroyable me submerge, je suis au centre d’une vingtaine de personnes que je ne connais pas (nous sommes réunis pour trois jours de séminaire chiquissime !) Je m’écroule. Ca a duré quelques secondes. Je me suis effondrée sur les pieds d’un écrivain célèbre et aussi au milieu de la baie vitrée que tout le monde essayait de fermer pour que les moustiques n'entrent pas. Pour les trois jours de séminaire, j’ai des pattes d’éléphant et ne rentre dans aucune paire de chaussures ! Tout le monde prend de mes nouvelles, gentiment ; je suis désespérée de honte.
De l’évanouissement comme réponse à l’inconcevable de son propre corps.