lundi 21 octobre 2013

un mois de la collection été-automne



La semaine 39
Et aussi, manger les restes du dimanche, de cette semaine où je n’écris rien.

La semaine 40
Les images de Sans soleil de Chris Marker ; les trois enfants plus que blonds, les maisons ensevelies sous la cendre.
Au moment d’aller se coucher, le hibou hulule. On dit que c’est l’oiseau de sagesse, celui qui voit dans la nuit.
Je fais un cheesecake.
Une nouvelle décoratrice border line chez woody ; elle aussi va chavirer. C’est triste et beau.
On dîne tard sur la terrasse et je crois qu’un soir, on finit la bouteille de vodka et le cheesecake aussi.

La semaine 41
Un très agréable dîner du lundi soir, avec de belles personnes,
mais Patrice Chéreau nous quitte et je m’en vais prendre le train.
Les petites figurines en terre cuite de Rithy Panh volent dans le ciel, ce sont trois enfants morts, des anges aussi.
Ne pas se laisser aller à la tristesse du monde, je fais un gâteau aux pommes.
Voyez-vous, dans ma vie luxueuse, je me fais masser une fois par mois, et c’est cette semaine, cette semaine est donc purement divine.
Adèle comme une histoire sociale de l’amour impossible, et où il est dit que l’art ne nous libère pas de ce que nous sommes.
En sortant du cinéma, c’est dimanche midi et c’est l’été, le déjeuner en terrasse est le temps de décorticage du film, nous sommes trois à l’avoir trouvé un peu trop long, mais pas du tout aux mêmes endroits, ainsi, à nous trois, nous en arrivons presque à un court métrage !
Et en dessert, le meilleur cheesecake de la ville pour se préparer à aller travailler, car parfois, le repos n’est pas dominical.

La semaine 42
Lundi soir, Simone tue le chat de Jean et Chris filme le chat de Simone. Emile n’en a rien à faire et ronronne sur le canapé.
C’est l’automne, enduire les morceaux de patates douces et de courge d’huile d’olive, de poudre de cumin, de fenouil, de sel, les cuire sur la plaque du four avec des graines (courges, pignon …), les mélanger à du boulghour, arroser d’un filet de citron. C’est orange, c’est beau.
Je parle devant cent vingt personnes, même pas peur ; enfin, si, un peu quand même.
Une jeune fille n’ira plus à l’école en France. C’est comment, l’école, là où elle vit aujourd’hui ?

jeudi 10 octobre 2013

souvenirs de lecture



Je me souviens que lorsque ma mère est entrée à l’hôpital, bien plus gravement malade qu’on ne le pensait, je lisais l’œuvre au noir, de marguerite yourcenar. Je me souviens qu’à l’annonce par le médecin de son état critique, je n’ai plus réussi à lire une seule ligne et ce pendant de longs mois, bien au delà de sa mort. Il n’y avait plus de place dans ma vie, dans ma tête pour ce qu’était la lecture pour moi et que je découvrais avec cette impossibilité.
Depuis que j’avais six ans et que je savais lire couramment des livres sans images, j’avais toujours eu un livre en cours, voire deux, trois de front. J’avais quarantre trois ans et le processus s’arrêtait ! C’était désemparant et inquiétant, car je m’aimais beaucoup en lectrice. Mais je n’y arrivais plus, tout me tombait des mains. Je savais que je lisais pour échapper au monde, à la vraie vie, tout en sachant que la lecture m’y ramenait de manière plus intelligente … je découvrais que je lisais aussi pour échapper à ma mère ! Cette construction enfantine m’aparaissait tout à fait clairement, maintenant que je n’arrivais plus à lire et qu’elle n’était plus là. La lecture, c’était comme Alice,  j’entrais dans le rabbit’s hole et n’y étais plus pour personne, pour elle. J’échappais à son regard omniprésent, omniscient. J’étais en vacances, en vacance. Il n’y avait plus de regard auquel se soustraire (dans le premier jet, j’ai écrit se soumettre, j’en tombe de ma chaise !). C’était aussi possible, car j’échappais avec la permission maternelle. Je lisais, ce qui pour elle était la preuve et la fierté qu’elle m’avait bien élevée (ce qui est vrai),  je lisais ce qu’elle ne pourrait jamais lire,  elle m’avait donné les clefs pour lui échapper, ce fut un gouffre de tristesse, pour elle, pour moi, jamais comblé.
Alors pendant de longs mois, j’ai juste eu envie de lire. J’achetais des livres, les commençais, c’est tout. Je n’entrais dans rien, le trou c’était refermé, me laissant à l’extérieur, assise dans l’herbe, regardant le paysage, moi qui n’aime pas ça ! Libre d’aller jouer avec les autres, mais je n’aime pas trop ça non plus !

Je me suis remise à lire … Je ne sais plus comment, Marguerite Duras, la vie matérielle que j’achetais pour la deuxième fois sans m’en apercevoir, à nouveau et complètement séduite par quelques mots lus au hasard dans une librairie, je me souviens très bien m’être dit alors que j’avais envie de ces mots, là, maintenant … C’est en rentrant à la maison que f. m’a dit qu’on l’avait déjà et que je l’avais déjà lu. En effet ! Et puis il était Dix heures et demi du soir en été et le souvenir des litres de manzanilla très frais. Ce sera aussi l’année de l’éloge de l’ombre, une belle année, finalement.

Plus tard, j’ai recommencé l’œuvre au noir, fini l’œuvre au noir …, relu pour la quatrième fois Hadrien, plongée dans les nouvelles orientales. Tout était revenu, différemment, sûrement. …
J’aime les marguerites.

lundi 30 septembre 2013

le carnet de semaines



Dans ma vie, il y a plusieurs carnets.
extrait du carnet de semaines

La semaine 35
Ne pas aller à Paris alors que c’était écrit dans l’agenda. Remettre, remettre, mais à quand ?
Penser à se réabonner à Mémé !
Un petit bonnet en laine bouillie ravissant que Nancy met pour travailler
Une bataille de confettis avant d’aller manger un poisson
Lire le dernier Laura Kasischke et découvrir aussi, avec ravissement, que son livre préféré est Mrs Dalloway et qu’elle écrit des poèmes sur les traces laissées par le chagrin sur les objets. Trop beau.

La semaine 36
Faire des listes pour aller au cinéma et finalement, ne pas y aller
Acheter deux pots d’une pâte à tartiner italienne chocolat – noisette, une pour offrir, une pour manger à la petite cuillère (c’est la faute de P., elle se reconnaîtra)
L’averse transforme le dîner au jardin en apéro. au jardin. Le dîner se fait donc à l’intérieur, pour une soirée absolument délicieuse
Avec f. on se dit que nous aussi, on aura des lampions comme ça dans notre jardin, quand on aura un jardin (et non plus une espèce de forêt vierge)

La semaine 37
Les épines sortent par le dos, les dents, …
Cette semaine, je sais pourquoi j’aime mon métier
Un poulpe mort, un homard vivant, un acteur et un peintre complices, une soirée parfaite
Des dîners de fin de semaine, bon ben, des dîners de fin de semaine, quoi

La semaine 38
Je comprends tout à la thérapie de l’indien des plaines grâce à son accent et à celui de son psy. La belle veste marron de Benicio del Toro (tout compte au cinéma).
Les cours de yoga ont recommencé. Merci
Être à Berlin pour Noël, pourquoi pas ?
Regarder les polars d’Arte sur grand écran, allongée sur le canapé, sous la couette (une certaine idée du bonheur).
Manger délicieusement coréen, en regardant se dandiner des adolescentes au son de la k.pop
Dîner chez Christine un samedi soir et finir par un crumble poire-anis qui se défend.

dimanche 15 septembre 2013

Ma vie en cinémascope


La première fois que ma mère est allée au cinéma, elle avait six ans, c’était pour  voir Blanche Neige.
La première fois que je suis allée au cinéma, j’avais cinq ans, j’ai vu Le livre de la jungle. Une véritable opa Walt Disney.
Je me souviens essentiellement du court métrage (heureux temps des courts métrages avant les longs, sorte mise en bouche avant l’heure de l’ouvreuse qui passait dans l’allée avec un panier en osier qui craquait un peu, rempli de glaces, esquimau … Oui, j’ai 120 ans …) dans lequel un jeune garçon indien, maltraité par ses camarades se transforme en aigle. C’était beau, c’était ce qu’une petite fille de six ans pouvait rêver de faire pour échapper, déjà, à des pressions qui lui paraissaient bien lourdes.
Ensuite, le cinéma, ça a été en plein air, dans des odeurs de citronnelle, pour voir des films rigolos ; enfin, que les parents trouvaient rigolos ! mais pas que … des westerns pas trop pour les enfants, et aussi des histoires de momie-zombie à bord d’un paquebot qui terrorise les passagers et les enfants qui voient des films alors qu’ils sont un peu trop jeunes. Jane Eyre qui fait pleurer (du coup, je suis assez addict, j’ai bien du en voir cinq, six versions).
A mes quinze ans, j’ai repris les choses en main ! Et le chemin d’un cinéma art et essai dans lequel mon père m’accompagnait lorsque les films passaient le soir, et qu’il n’y avait plus de bus pour rentrer. Ainsi, je l’ai vu s’endormir dès les premières minutes de Stardust memories, et raconté par le menu, à ma mère qui alors frappait sa tempe du bout de son index, le Sacré Graal, des Monty Python, allant jusqu’à mimer la scène du roi Arthur à cheval (sans cheval) et surtout de son valet fermant la marche, frappant entre elles des noix de coco, pour faire le bruit des sabots ! (il en parla, en rigolant, jusqu’à la fin de sa vie, ne revenant pas de la loufoquerie du genre).

La première fois que j’ai vu Manhattan, j’étais dans un avion qui m’emmenait dans la brousse africaine, avec une autorisation parentale pour quitter le territoire, car j’étais mineure. J’allais rejoindre un tout autre univers, mais venant d’une petite ville provinciale, je découvrais par ces images la Ville, ses appartements, sa nourriture, ses bars, ses restaurants, ses transports, ses rituels, ses conversations … qu’un jour, je rejoindrai.
Bien sûr, il y a eu la télévision : le cinéma de minuit, la voix de Patrick Brion le dimanche soir. Il fallait, parfois, batailler avec les parents pour se coucher tard alors qu’il y avait école le lendemain. Et voir passer la tête de ma mère par la porte du salon qu’elle entrouvrait en disant : « ça finit bientôt ? ». « Oui, c’est presque fini », répondais-je à peine pour ne pas rater une seule image de La nuit du chasseur, de la Féline de Jacques Tourneur, La notte d’Antonioni (que je reverrai un soir très tard à la cinémathèque de Toulouse, le jour de mon anniversaire), …
Puis, Paris, la vie d’étudiante. Le ciné-club de la fac, le lundi midi. Les films en cycle : le néoréalisme italien. Le choc de Rome, ville ouverte, à en être malade et que je ne reverrai jamais plus. La beauté subjuguante de Lucia Bosè dans Chronique d’un amour (qui fera un fils non moins magnifique que Pedro travestira), … Les hilarants Lubitsch, Howard Hawks, les élégants Cary Grant, Greta Garbo à l’action Christine que me fait découvrir mon amie Laurence, parisienne de toujours.
Tous les autres cinémas, tous les autres films, pour toute la vie entière.

Il y a la vie en dvd, aussi. Je demande à mon père, cloué chez lui, quels films lui ferait plaisir avec l’achat du lecteur prévu pour que le temps ne lui paraisse pas trop long, trop vide, maintenant que la vie lui a réservé quelques surprises auxquelles il n’y a d’autre choix que de se soumettre.  Il dit « des films avec Errol Flynn, Tyrone Power », les films de son enfance, les héros sont les héros pour toute la vie. Il les regardait de temps en temps en les glissant dans le lecteur dvd qu’il avait appris à manipuler pour entendre les voix en français.
Aujourd’hui, ces films sont chez nous et f. ne dédaigne pas une soirée en compagnie d’un justicier en collant vert dévalant des escaliers tout en se battant à l’épée, sourire aux lèvres et jetant d’un geste léger, l’air de rien, un cerf entier dans l’assiette du félon (qui joue aussi un garçon fort peu fréquentable chez Hitchcock, quelques années plus tard).
Ainsi, de film en film, des images, des histoires, des vies se racontent et nous, on va au cinéma.

jeudi 15 août 2013

15 juillet – 15 août



En traversant la place sous la pluie d’orage, celle qui fait monter l’odeur de chaud du bitume, je pense aux petites madeleines  de l’été : le week-end à Paris de Frances Ha, les bains dans la mer vide, avant 9 heures le matin, la toute nouvelle collection Essences d’acte sud, Madeleine sent le nard pour toujours et à tout jamais, la femme sans nom du long poème, la fleur de cactus … M et B sous la guirlande de petites ampoules rondes, dans le jardin, a qui je sers des bigorneaux crus !. L’excellent dîner-dînette du dernier soir des vacances, chez F. Le jour où f. est un petit peu malade et où il ne l’est plus et redevient gai et drôle, ce sera aussi le jour des moules frites sur le port, merci Marie pour cette belle idée. Il y a aussi la boîte en granit, celle qui est rangée avec les autres, mais c’est elle que l’on voit, peut-être parce qu’elle nous regarde de son regard noir et dense. On soulève le couvercle, on se penche sur le dessin du plan ancien et qui rappelle, curieusement, notre maison, on touche la pierre noire, on la caresse, on repose le couvercle en faisant un peu glisser pour que ça s’ajuste bien, on garde le froid dans la main. Le doux souvenir du déjeuner à Cancale, les huîtres tièdes aux artichauts et au curry, une barbue sérénissima, le paris brest à la pistache, les épices du maître et cette tisane d’or que je voudrais en parfum. P et G, deux petits jours, qui s’envolent pour Helsinki et qui me manquent déjà. Carole Desbarats qui dit l’intelligence des films de Rohmer, un matin sur France Culture, un matin un peu gris ou un peu lent de la fatigue de la veille, je ne sais plus, et qui nous tient enfermé. Il y a aussi les whiskys tourbés, et les iodés qui finalement ne se marient pas très bien avec les huîtres laiteuses, mais qui se suffisent à eux-mêmes. Le lait Ribot, la brioche au sésame, le Saint Amour citronné juste ce qu’il faut, le far parfumé à l’orange, des poissons, des poissons, des poissons …
Le perrier bu avec O. que l’on retrouve après une trop longue absence, un jour où il fait vraiment très chaud.
Et puis, les escapades italiennes auxquelles on rêve, pour se dire que partir, voir, goûter l'ailleurs, ça arrivera encore.

jeudi 23 mai 2013

Le joli mois de mai

J’entends la voix de James Stewart à la radio, dans le magasin du coin de la rue. Ca parle amour et mariage. Dans ce registre, il y a eu du parfum, un film chinois qui promet des lectures à venir, une odeur de figuier, les petites crevettes grises au kari Gosse (ce kari, c’est l’histoire d’un pharmacien alréen, il y a bien des années … Ce qui me ravit, c’est d’acheter une poudre magique et alimentaire dans une pharmacie bretonne) sur un lit de crème de panais, une purée de céleris – châtaigne parfumée à l’huile sésame,  des fromages à tomber de chez Betty, du champagne et du vin (un divin Pic saint loup), les mignons petits gâteaux (dont un surmonter d’un petit carré de chocolat rose et blanc que j’aurais bien porté en bijou) que nous avons grignotés assis dans le salon  tout en parlant de l’avenir, de la jeunesse et de ce qu’on attend de l’art. Et j’ai eu le droit de voir les nuits de la pleine lune, parce que c’est mon préféré de tous (enfin, en certaines circonstances, dont celle d’hier soir, quelque chose qui a avoir avec le temps qui passe).
Dans la tourmente climatique de ce printemps, je porte une écharpe d’hiver et vais pieds nus dans mes basket au fil brillant et au ruban en guise de lacet. Ainsi, j’ai froid aux pieds et chaud à la tête, ce qui traduit bien l’état du moment, un peu entre deux, envie et attente … L’attente immobilise, le froid aussi, il va être temps de bouger, de sortir, de respirer dehors, bientôt, bientôt …
Je retourne à ma lecture : "Elle hoche la tête : peut-être a-t-elle faim. Oui, c'est peut-être ça. Elle ne sait pas bien. Elle dit : ..."
Vous voyez ? 

dimanche 19 mai 2013

une phrase étonnamment de saison


Miss Silver avait apprécié le thé. La pièce était chaude et confortable. La brume et l'humidité régnaient dehors alors qu'il faisait tellement bon dans le salon de Mrs Underwood, avec la lumière allumée et le feu qui flambait gaiement.

Patricia Wentworth, Miss Silver intervient.

mercredi 24 avril 2013

j'entends et je vois des choses qui me font sourire


-->
Dans la liste des choses faites, il y a les grandes et petites chaises de Barthélémy Toguo en Arles, rire encore aux répliques du « Prénom » et me réjouir d’accueillir sur mon lieu de travail une classe très sympathique où deux jeunes filles s’appellent Eudoxie et Azadée. Ecouter, dans le métro, deux autres jeunes gens, à peine plus âgés, essayer de se souvenir de comment s’appelait Pôle Emploi, avant et de convenir d’un commun accord que c’était Assedic !
Tout de suite après, trois jeunes étudiants en journalisme me soutiennent que Aï Wei Wei a eu le prix Nobel de littérature !!! Je fais remarquer qu’il aurait pu, s’il avait écrit un livre ; ils m’informent alors qu’il a un blog très suivi. Je suis ravie de savoir qu’ils n’ont pas encore fini leurs études et que probablement, dans moins d’une génération, le prix Nobel de littérature sera bloggeur. Hélas, le nom de Liu Xiabo ne leur dit rien du tout !
Je lis la luxueuse revue 180° et vois cette réjouissante réponse du concepteur, Eric Fénot (sur le blog) à la question : un plat ou un aliment qui vous répugne le plus, le milk shake de rognon.
Sans aller au cinéma, ces derniers temps, c’est du fond du canapé que je me régale des films de Claude Sautet, des scènes de repas, de café, d’amitiés, de marches digestives, de maison de campagne, d’appartements parisiens, on boit de l’alcool et on fume des cigarettes, les femmes discutent ensemble dans des cuisines, c’est léger et dramatique, on chute et on se relève. On vit.

Dans ma liste de choses à venir, bientôt, il y a quelques mariages d’amis, d’amies et j’en suis heureuse. Pour certains, nous irons avec leurs enfants.

vendredi 5 avril 2013

de la vie des animaux




J’entends cette phrase à la radio : « quand j’étais petite, j’avais un poisson rouge ». Moi aussi, je me souviens que j’avais un poisson rouge. J’en ai eu plusieurs, d’ailleurs, car la vie du poisson rouge peut être courte. J’ai eu aussi un hamster. Le poisson rouge peut avoir une vie courte et néanmoins remplie d’aventures, le hamster aussi, probablement. Donc, chez, nous, quand j’étais enfant, j’avais la charge de changer l’eau du bocal, car j’avais beaucoup insisté pour avoir cet animal à la maison, j’en suis donc responsable (c’est seulement ici que j’avoue avoir déjà douze ans). Et par deux fois, j’ai vidé l’eau et le poisson dans le lavabo … en oubliant d’en boucher l’ouverture ! Alors là, il faut faire vite : en courant et en hurlant, je vais dans le salon où mon père lit tranquillement son journal. Il comprend tant bien que mal de quoi il s’agit, et comme il a toujours été mon héros, il sauve par deux fois l’animal en dévissant le tuyau du lavabo et en le récupérant dans le coude du tube, ne se privant pas de souffler un « encore » lors de la deuxième entreprise, pendant que ma mère se marre. Je vois bien qu’il ne comprend pas comment il a pu faire une fille aussi peu réfléchie. Je me souviens du très beau poisson noir, nageoire et queue comme des voiles. Nous l’avons trouvé un matin, flottant le ventre à l’air. Je n’y étais pour rien et le chat, qui trempait régulièrement le bout de ses oreilles dans le bocal, non plus. Pour le hamster, ma mère aimait à raconter qu’il était mort de faim, car j’oubliais de m’en occuper et elle ne voulait pas s’approcher de la cage. Je ne me souviens pas que cela soit vrai. Mais je me souviens très bien lui avoir ouvert la cage et qu’il a disparu derrière l’armoire. Le chat n’avait plus le droit d’entrer dans la chambre, il fallait tout le temps penser à fermer la porte, c’était très compliqué. Je me souviens que pendant quelques jours, il  y avait une poignée de graines de tournesol déposé au pied du meuble, comme une petite nature morte.

dimanche 24 mars 2013

de Séte à Lisbonne, mais pas seulement



Le restaurant des demoiselles dupuy est comble, la salade de poulpe à l’aïoli d’à côté est très correcte et le serveur charmant, nous laisse le pichet de vin blanc à disposition, ce qui ne manquera pas de nous rappeler, un autre midi,  cette morue à l’ail et à l’huile d’olive de Lisbonne (quel merveilleux souvenir !) accompagnée de son litre de vin blanc que nous avons éclusé sans complexe un jour ensoleillé de décembre et dont nous avons évacué les vapeurs en parcourant la ville à pied, ce qui est physiquement très éprouvant, surtout avec un coup dans le nez !
Lisbonne fut donc la ville des expériences évaporescentes (oui, le vin blanc fait inventer des mots !).
La boutique est minuscule ; une fois entrés, f. et moi y sommes à l’étroit ! Un comptoir en bois nous sépare de l’homme qui va me faire essayer des gants. Il faut que je pose mon coude sur un petit coussin posé sur le comptoir recouvert d'une plaque de verre, l’avant-bras levé, les doigts légèrement écartés. J’ai choisi cinq, six paires, l’opération se déroulera donc cinq, six fois. Je ne touche pas les gants, c’est homme qui les enfile à ma main, prenant le temps de faire glisser le tissu entre chaque doigt, c’est très lent et, comment dire, très troublant … Il vante les mérites de chaque choix en portugais, je ne comprends rien, entends juste un son qui va bien avec les gestes …
J’adore cette paire de gants de cuir marron et de tissu orange achetée ce jour-là. Je ne la mets pratiquement jamais, mais la regarde souvent d’un air ému.
F. achètera des chaussures dont l’essayage ne me laisse aucun souvenir ! et qu’il met peu aussi, alors qu’elles lui siéent à merveille. Mais f. et les chaussures c’est très compliqué (pour être honnête, la phrase exacte devrait être f., ses chaussures et moi, c’est compliqué), sauf quand il les achète avec b. à Amsterdam. C’est le côté snob de f., les chaussures s’achètent à l’étranger, on ne ramène jamais les boîtes. On avait essayé à Hanoï, mais au bout de la trentième boutique, il avait bien fallu s’avouer que nous ne trouverions jamais la taille. Il me reste un an et demi pour le convaincre de s’acheter des jika-tabi qu’il ne mettra jamais non plus.

vendredi 1 mars 2013

de février

  -->
Le printemps s’invite au premier jour du mois pour disparaître ; le 24, il neige. J’attends des bottines bleu printemps, je perds ma voix et ne peux donc presque pas parler avec l’amie de passage ! On me vole mon sac à main et je perds ainsi le fil du livre que je lisais. Je rêve de ce sac, cercueil reposant au fond de l’eau ! les mitaines si fines avec un petit trou au pouce, la pochette à fleurs, les images à jamais perdues (inestimables) dans l’appareil photo (estimable), perdu aussi, les lunettes jaunes que f. avait choisi pour moi. Je vois un film sublime qui parle de l’histoire folle du siècle passé, histoire qui empêche d’être au monde encore aujourd’hui, peut-être. 
En février, il y a une alerte à la bombe sur la place centrale, je ne peux rentrer chez moi que tard le soir, le lendemain, un homme descendra de son quatre-quatre pour nous dire, à f. et moi, de fermer nos grandes gueules ! Un cycliste qui roule sur le trottoir m’insulte car il doit foncer sur les tables et chaises d’une terrasse pour m’éviter … Je trouve ce petit mois de février bien trop long et fatigant.
Mais heureusement c’est encore l’heure des soupes de potiron – châtaigne, des tisanes de thym, des recettes de curry de légumes. C’est aussi le temps des amies qui viennent partager quelques jours autour de dîners, de petits-déjeuners bavards.
Le garçon qui me vend mes nouvelles lunettes de soleil porte des bottines marron et une chemise à carreaux. Nous prenons notre temps et j’écoute ses conseils. Elles s’appellent Satori et c’est parfait. Ce même et dernier jour du mois, je vais chercher une partie de mes affaires volées aux objets trouvés et je retrouve la pochette à fleurs et le fil de ma lecture : «  Voilà comment ça se passe, en général, on broie sans fin tous nos souvenirs, les bons et les mauvais, les plus affreux comme les meilleurs, les moyens et les minables, forcément, tous, ceux des jours de fête et ceux des nuits de larmes – le satin des matins et la soie des soirs, ça diminue, ça s’estompe dans les petits lointains de la vie, puis ça finit par se dissoudre et disparaître complètement au fin fond des éternités, pfuitt, oubliées. Pok. »

lundi 11 février 2013

un petit peu malade

 
Je me souviens, j’ai six ans. J’ai la rougeole. Ma grand-mère me lit des histoires, assise au bord du lit, dans une chambre aux volets presque clos (il faut rester dans le noir quand on a la rougeole !). C’est agréable. Dans mon souvenir, je n’ai pas mal, je suis allongée dans la pénombre, ma mère et ma grand-mère s’occupent de moi. Je me souviens, j’ai sept ans, j’ai la varicelle. C’est l’horreur. Je vis dans un pays chaud et le simple drap sur ma peau ; je ne supporte aucun vêtement, est intolérable. Je me gratte, j’ai des traces pour toute la vie. C’est pénible de rester allongée, ma grand-mère n’est pas là, je ne me souviens pas qu’on me lit des histoires. J’ai quinze ans, j’ai très mal au ventre, mais ma mère avertie par d’autres mensonges de ce type, m’envoie à l’école tout de même. Je n’arrive même pas à porter mon cartable. De la fenêtre du premier étage où nous habitons, elle me hèle et crie « remonte, j’appelle le médecin, si tu n’as rien, gare à toi ». Le médecin fut toujours un peu une menace, chez nous. Il diagnostique une péritonite. Je suis envoyée d’urgence dans un hôpital où il n’y a plus de place. Je partage une chambre sous les combles avec une femme qui vient d’être opérée des amygdales. Sa chemise de nuit est rouge de sang. J’ai peur, je veux rentrer à la maison. La dernière phrase que j’entends en entrant au bloc opératoire « humm, de la chair fraîche ! ». je mettrai trois semaines à m’en remettre. J’ai vingt ans, j’ai les oreillons. C’est parfaitement ridicule. J’ai l’air d’un hamster : mon cou est gonflé des épaules au menton, les amis essayent de ne pas rire en entrant dans la chambre ! C’est très douloureux quand je mange, je bois, je déglutis, je ris, je parle, je tourne la tête, j’éternue, sinon ça va. J’ai vingt-cinq ans, en novembre, je suis bloquée au lit par une sciatique. Ma mère et ma cousine viennent me voir. Elles sont toutes les deux de grandes et belles fumeuses, du genre à allumer la suivante avec le mégot de la précédente ! Elles fument dans la chambre, mais comme ça m’incommode et qu’elles sont gentilles, elles ouvrent la fenêtre ! J’ai froid. Elles reviendront plusieurs fois pendant les dix jours où mon dos ne veut pas se débloquer. Je me souviens que j’ai arrêté d’être malade, pour l’instant.

mercredi 30 janvier 2013

Je me souviens de quelques jours de janvier

  -->
Je mange un bol de soupe et un muffin à l’orange confite en écoutant la pluie tomber. Et aussi, je prépare le thé. J.B. Pontalis est mort hier.
J’écoute à la radio Agnès Varda dire : "je n’ai jamais lutté pour être belle, pour être jeune … »
Je vais deux fois au théâtre et n’aime pas trop ça (la deuxième fois, sans honte, au quatrième rang, je m’endors sous le nez des acteurs).
Je me souviens alors de la semaine passée et des robes des danseuses fleuries et acidulées. On devine que la gaîté peut tourner à l’orage. Les neufs couples avancent lentement aux petits pas déhanchés. La seconde fois, les hommes retireront leur chemise et ensemble, ils iront s’allonger sur le sable. Ce sera presque fini. Ils seront applaudis debout.
Je regarde les photographies prises au Rijksmuseum où j’ai encore vu des citrons qui déroulent leur écorce le long des nappes blanches recouvertes de pain, d’huîtres, de verres précieux de Venise à moitié vidés de leur vin. Des cornets de papier remplis de poivre, de sel (je venais d’apprendre à manger les huîtres rehaussées d’un tour de moulin de poivre).
Je vais à la cinémathèque voir un film d’Ernst Lubitsch.
Je « fais les soldes » et reviens avec des choses marron et bleu, des choses que l’on peut mettre au printemps fou qui arrive déjà (15° à l’heure où j’écris).
Je lis  dans un livre qui parle du luxe « …le fameux jardin zen du temple Ryoanji, à Kyoto, comporte onze pierres, dont l’observateur, où qu’il soit placé, en voit toujours dix – jamais plus, jamais moins. Ce petit mystère constitue « la part d’ombre » du jardin, qui laisse chacun en tirer la leçon qu’il veut. »
Je me couche tôt, je ne m’enrhume pas, je rêve des lumières d’hiver dans les appartements d’Amsterdam, je me souviens de la pause fika au café Puccini et d’une certaine addiction à la tarte aux pommes ; aussi, de la difficulté de B. à avoir une part de gâteau pour lui tout seul !

dimanche 27 janvier 2013

du champagne

 
Je ne bois du champagne que lorsque je suis joyeuse et lorsque je suis triste. Parfois, je le prends quand je suis seule. Je le considère obligatoire lorsque j’ai de la compagnie. Je joue avec quand je n’ai pas d’appétit, et j’en bois lorsque j’ai faim. Sinon, je n’y touche jamais, à moins que je n’aie soif.

Elisabeth Bollinger

jeudi 24 janvier 2013

les objets nomades

 
Tous les matins, je bois le thé dans le même petit bol bleu. Je me souviens où et quand je l’ai acheté et ainsi, lorsque que j’y prends garde, je prends le thé avec une pensée pour ce moment particulier et tout ce qui s’y ramène. C’était plutôt l’hiver, j’allais seule au cinéma en fin d’après-midi après avoir rendu visite à mon père ; il y avait une boutique japonaise près du cinéma.
Je me souviens que les objets racontent des histoires. Le tissu rose à fleurs qui est de chaque voyage d’été, de printemps et qui sert de nappe de pique-nique, de rideau, de paréo de bord de mer, de drap, d’écharpe … Dans une maison amie, il y a le même et celle qui y vit me l’a offert, le sien est allé à Hong-Kong, le mien à Central Park. La bague en pierre de lune qui s’est cassée à Turin en tombant du rebord de la fenêtre. Chaque fois que je la glisse à mon doigt, je remercie, je ne sais ni qui ni quoi, peut-être la fêlure elle-même de nous avoir construit et non séparés en deux morceaux. Elle est donc devenue la bague des fiançailles. Je me souviens avoir perdu le petit porte-monnaie vert dans la rue, il y a six ou sept ans et le gilet noir boutonné devant, oublié dans une chambre d’hôtel … et m’en remettre difficilement ! Je me souviens d’avoir prêter mon livre à une amie pour qu’elle découvre ce texte et qu’elle m’a rendu à la place un livre neuf et que j’ai détesté cela. Je me souviens avoir trouvé par terre, lors d’une soirée exaltée et un peu fausse, il y a de cela presque dix ans, l’écharpe que je porte aujourd’hui et que c’était comme si elle m’attendait là pour me ramener à moi-même. Il y a encore quelques autres objets qui accompagnent ma vie. Mais je sais de source sûre, que, même grande, on peut avoir des doudous.
Je me souviens de la bague carrée rouge qui va avec tout.

mardi 15 janvier 2013

les à-côtés

 
Je me souviens avoir vu une pièce de théâtre et, bien que connaissant le texte, avoir eu du mal à comprendre cet acteur japonais qui parlait français. Je me souviens que longtemps après, je me souvenais des belles chaussures que portait l’actrice. Mais aujourd’hui, je ne sais plus à quoi elles ressemblaient ! Je me souviens que nous nous sommes aperçus que cet acteur était une star lorsque des jeunes filles japonaises, en larmes, ont déposé des fleurs somptueuses à ses pieds à la fin de la représentation et qu’il trouvait cela tout à fait normal. Je me souviens que j’ai dit à une amie qui allait voir cette pièce le jour suivant de se munir d’un coussin confortable pour affronter la durée du spectacle. Mais en fait, je me souviens de peu de choses de la représentation elle-même. Je me souviens que les « hors champs » me sont souvent plus présents que les choses elles-mêmes. Ainsi, je me souviens avoir vu  Laurent Terzieff au théâtre, mais de ne pas me souvenir du tout dans quelle pièce cela pouvait être. J’étais au premier rang et lorsqu’il s’est écroulé sur scène ; son rôle le voulait, sa main pendait juste devant moi, il m’aurait suffi d’avancer la mienne pour caresser la sienne. Je me souviens qu’alors, je n’ai plus pensé qu’à cela, sans le faire, oubliant tout le reste. Ce fut un peu la même expérience quand, f. et moi toujours au premier rang, une des danseuses de la troupe s’est mise à courir et sauter seulement habillée de ses voiles transparents. Son absence totale de sous vêtements (pourquoi celle-là seule parmi les autres danseuses ?) nous déconcerta, nous faisant totalement oublier ce que pouvaient bien faire les dix autres danseurs pendant ce temps ! C’est ainsi, je me souviens des détails, des à-côtés, des petites choses. Je me souviens très clairement d’un parfum d’enfance que j’avais retrouvé adulte et fait sentir à ma mère, ça ne lui disait rien du tout.