La première fois que ma mère est allée au cinéma, elle avait
six ans, c’était pour voir Blanche
Neige.
La première fois que je suis allée au cinéma, j’avais cinq
ans, j’ai vu Le livre de la jungle. Une véritable opa Walt Disney.
Je me souviens essentiellement du court métrage (heureux
temps des courts métrages avant les longs, sorte mise en bouche avant l’heure
de l’ouvreuse qui passait dans l’allée avec un panier en osier qui craquait un
peu, rempli de glaces, esquimau … Oui, j’ai 120 ans …) dans lequel un jeune
garçon indien, maltraité par ses camarades se transforme en aigle. C’était
beau, c’était ce qu’une petite fille de six ans pouvait rêver de faire pour
échapper, déjà, à des pressions qui lui paraissaient bien lourdes.
Ensuite, le cinéma, ça a été en plein air, dans des odeurs
de citronnelle, pour voir des films rigolos ; enfin, que les parents
trouvaient rigolos ! mais pas que … des westerns pas trop pour les
enfants, et aussi des histoires de momie-zombie à bord d’un paquebot qui
terrorise les passagers et les enfants qui voient des films alors qu’ils sont
un peu trop jeunes. Jane Eyre qui fait pleurer (du coup, je suis assez addict,
j’ai bien du en voir cinq, six versions).
A mes quinze ans, j’ai repris les choses en main ! Et
le chemin d’un cinéma art et essai dans lequel mon père m’accompagnait lorsque
les films passaient le soir, et qu’il n’y avait plus de bus pour rentrer.
Ainsi, je l’ai vu s’endormir dès les premières minutes de Stardust memories, et
raconté par le menu, à ma mère qui alors frappait sa tempe du bout de son index,
le Sacré Graal, des Monty Python, allant jusqu’à mimer la scène du roi Arthur à
cheval (sans cheval) et surtout de son valet fermant la marche, frappant entre elles des noix de coco, pour faire le bruit des sabots ! (il en parla, en
rigolant, jusqu’à la fin de sa vie, ne revenant pas de la loufoquerie du genre).
La première fois que j’ai vu Manhattan, j’étais dans un
avion qui m’emmenait dans la brousse africaine, avec une autorisation parentale
pour quitter le territoire, car j’étais mineure. J’allais rejoindre un tout
autre univers, mais venant d’une petite ville provinciale, je découvrais par
ces images la Ville, ses appartements, sa nourriture, ses bars, ses restaurants,
ses transports, ses rituels, ses conversations … qu’un jour, je rejoindrai.
Bien sûr, il y a eu la télévision : le cinéma de
minuit, la voix de Patrick Brion le dimanche soir. Il fallait, parfois,
batailler avec les parents pour se coucher tard alors qu’il y avait école le lendemain.
Et voir passer la tête de ma mère par la porte du salon qu’elle entrouvrait en
disant : « ça finit bientôt ? ». « Oui, c’est presque
fini », répondais-je à peine pour ne pas rater une seule image de La nuit
du chasseur, de la Féline de Jacques Tourneur, La notte d’Antonioni (que je
reverrai un soir très tard à la cinémathèque de Toulouse, le jour de mon
anniversaire), …
Puis, Paris, la vie d’étudiante. Le ciné-club de la fac, le
lundi midi. Les films en cycle : le néoréalisme italien. Le choc de Rome,
ville ouverte, à en être malade et que je ne reverrai jamais plus. La beauté
subjuguante de Lucia Bosè dans Chronique d’un amour (qui fera un fils non moins
magnifique que Pedro travestira), … Les hilarants Lubitsch, Howard Hawks, les
élégants Cary Grant, Greta Garbo à l’action Christine que me fait découvrir mon
amie Laurence, parisienne de toujours.
Tous les autres cinémas, tous les autres films, pour toute
la vie entière.
Il y a la vie en dvd, aussi. Je demande à mon père, cloué
chez lui, quels films lui ferait plaisir avec l’achat du lecteur prévu pour que
le temps ne lui paraisse pas trop long, trop vide, maintenant que la vie lui a
réservé quelques surprises auxquelles il n’y a d’autre choix que de se
soumettre. Il dit « des films avec Errol
Flynn, Tyrone Power », les films de son enfance, les héros sont les héros
pour toute la vie. Il les regardait de temps en temps en les glissant dans le
lecteur dvd qu’il avait appris à manipuler pour entendre les voix en français.
Aujourd’hui, ces films sont chez nous et f. ne dédaigne pas
une soirée en compagnie d’un justicier en collant vert dévalant des escaliers tout
en se battant à l’épée, sourire aux lèvres et jetant d’un geste léger, l’air de
rien, un cerf entier dans l’assiette du félon (qui joue aussi un garçon fort
peu fréquentable chez Hitchcock, quelques années plus tard).
Ainsi, de film en film, des images, des histoires, des vies
se racontent et nous, on va au cinéma.
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