lundi 10 décembre 2012

de la douce musique du cinéma

 
Je me souviens de la semaine passée. Et donc je sais qu’aux concerts de musique contemporaine, les hommes d’un certain âge et les très jeunes filles portent des pulls tricotés main, mais qu’ils ne sont pas de la même couleur. Je me souviens que cette semaine dernière, j’ai particulièrement été attentive aux jeunes filles, car lundi, j’ai vu Camille redouble et ensuite j’y ai pensé chaque jour de la semaine. Ce film m’a accompagnée en légèreté et en profondeur, en sourire et en tourment, toute la semaine, et peut-être n’est-ce pas fini. J’ai donc beaucoup réfléchi à ce qu’est l’acceptation, de soi, de sa vie, comme seul possible sinon de bonheur, au moins d’apaisement. Je me souviens donc que je n’ai jamais assez dit à ma mère que je l’aimais.
Je me souviens avoir entendu dans le métro une jeune fille de quinze ans environ dire à une amie du même âge, avec un sourire et une voix tristes : dans la vie, il n’y a que les garçons qui m’intéressent, tout le reste me fait chier.
Je me souviens qu’à ce concert de musique contemporaine, j’étais assise juste derrière une jeune femme blonde, jolie, au rouge à lèvres très rouge, et beaucoup trop grande ! Je me souviens avoir fait du thé oolong dans la petite théière chinoise, en terre cuite que l’on renverse complètement en appui sur le bol, la laissant se vider totalement. Je me souviens avoir acheté deux billets d’avion, un prévu de longue date pour aller écouter de la musique à Amsterdam, au mois de janvier. Un autre pour un court voyage à Paris qui n’était pas du tout prévu. Je me souviens avoir revu Interiors et donc me poser beaucoup de questions sur ma manie de replacer chaque objet dans ce que je pense être sa place exacte, pour être en harmonie et rangé, geste que f. ponctue à chaque fois d’un « elle est folle » avant de me prédire une vieillesse de mégère maniaque … je me dis aussi avoir échappé à la cruauté de la fratrie (comment dit-on lorsqu’il s’agit de trois sœurs ?), car cette femme avisée à qui je n’ai pas assez dit que je l’aimais, n’a fait que moi.
Je me souviens que juste après mon saut du puce parisien, j’irai en Bretagne.

mercredi 21 novembre 2012

petit moment de solitude

 
Je me souviens du vieil Artant qui me laissa perplexe et esseulée quelques jours, j’avais vingt ans. Je suis à l’université et je suis des cours d’iconologie, j’adore ça, j’apprends, j’apprends, ça s’ouvre devant moi, en moi ; toutes ces choses que je ne savais pas exister et qui me passionnent, qui trouvent écho. Un jour, en cours, il est question de ce vieil Artant dont je n’ai jamais entendu parler. Le malaise vient qu’il me semble être la seule à ne pas voir de qui on parle et, orgueil, je ne sais pas dire que je ne sais pas. Cette absence me révèle toute mon illégitimité à être là, sur ces bancs, en histoire de l’art, alors que je découvre les musées en même temps que ces études ! (Ici, tout cela est dit magnifiquement.)
Mon père avait pour moi d’autres ambitions professionnelles que f. se plait à me rappeler lorsque je me lime les ongles dans des lieux incongrus, pour faire passer le temps, façon secrétaire.
Le vieillard Temps ayant fait son travail, je me souviens qu’aujourd’hui, je peux sourire de cette histoire, d’autant plus que j’ai, récemment, rencontré quelqu’un qui, enfant, ne voyait pas ce que pouvait être du beurre de missel !

dimanche 18 novembre 2012

un thé en automne


Je me souviens que le maître de thé écarte les feuilles avec le couvercle du zong, se penche pour sentir et dit : la forêt en automne, les feuilles de chêne décomposées, bois de cèdre, bois de chêne, bois d’acajou, la maison de ma grand-mère, l’odeur de la poussière, de la pluie, les champignons, les morilles séchées, la terre, l’humus bien séché, une pomme de terre cuite à l’eau, avec la peau …

mardi 23 octobre 2012

fin d'été, début d'automne


Je me souviens, en reprisant mon gilet, de la douceur de la fin de l’été à Berlin. J’avais retiré ma veste et allais par les rues et les parcs, marchant d’un bon pas, en gilet de maille noir, et sans chaussettes, un vingt septembre. En rentrant le soir, fourbue, prête à une dînette d’une salade de légumes, humus et saumon avec f., j’avais réalisé que toute l’après-midi, j’avais frotté ma manche à la fermeture éclair de mon sac et maintenant, il y avait un trou dans ce gilet adoré. Prête à l’automne toulousain qui s’avance et aujourd’hui, fait un pas en arrière, je reprise. Penchée sur l’ouvrage, me prenant pour fanny Brawne et rêvant au nouveau manteau arrivé hier dans la penderie, je me souviens de Berlin. Deux jours avant le vingt, nous sommes emportés dans une redécouverte de l’art contemporain à la Boros collection par un jeune homme fort élégant, mince, en pull jacquard mailles fines, bleu et blanc et jodhpur quatre boutons, le dernier ouvert sur des chaussures noires de cuir souple, le chic étant qu’elles ne sont pas très bien cirées. La collection est magnifique, l’espace, un ancien bunker, évidemment atypique et sent le popcorn. Je me souviens aussi d’autres lieux berlinois. Le joli petit musée blanc et silencieux dédié à Emil Nolde où sa peinture aux orange et bleu toniques nous éclabousse(je ne me souviens plus du méchant plat de pâtes que nous avons mangé juste avant), les petites maisons de riz de Wolfgang Laib posées au sol d’une ancienne gare et du sandwich au pastrami d’après. Je me souviens que dans ce lieu très branché de l’art contemporain, il était de bon ton de porter des vêtements de couleurs aux tons descendus avec des trous dedans (les collants, les pulls) (mais bon, je reprise quand même parce que moi, j’assume pas trop !). Je me souviens avoir visité un musée pendant cinq heures et n’en n’avoir plus rien à faire devant les Botticelli (une honte que je peine à écrire ici) et avoir dévoré un apfelstrudel en sortant. Je me souviens que j’en mangerai trois en douze jours et aussi un dessert de crêpes et de prunes cuites, arrosé de snaps ! Je me souviens de l’architecture tout en verre de Mies van der Rohe, associée aux spätzele du restaurant Joseph Roth Diele. Je me souviens qu’il fait très doux, que nous marchons beaucoup, que nos pas nous portent plusieurs fois dans Mitte, nous flânons, découvrons une librairie française et son libraire accueillant et volubile, une jolie petite papeterie  tenue par une jeune et élégante japonaise, sérieuse et attentionnée et où f. un peu étonné me voit acheter un masking tape rose et japonais, of course. Je dévore un plat de raviolis sautés en pensant au vin blanc autrichien qui nous attend ce soir. Je me souviens que nous marchons le nez au sol pour lire des noms, des dates sur des pavés dorés qui disent discrètement, pour ne pas nous gâcher notre promenade, des disparitions, des déportations, je me souviens de la visite du musée juif au sol bancal, son jardin de l’exil, le malaise physique que ça engendre …
Je me souviens de l’appartement de Kreuzberg, de sa cuisine blanche et rouge, des heures de lecture matinale, dans le lit, adossée à la bibliothèque, de son mur où miroir et photos anciennes se mélangent. Je me souviens d’avoir aimé passer deux semaines dans cette ville, dans cet appartement. Je me souviens de plein d’autres choses.

lundi 8 octobre 2012

Øl, brØd, sild

 
Les vacances commencent, mais ce ne sont pas encore tout à fait les vacances, c’est un petit espace temps à l’aéroport RCD lors duquel nous croisons Michael Lonsdale ... tout d’écossais vêtu, chemise et pantalon, non coordonnés, le cheveux fatigué long dans la nuque, la silhouette courbée sur la valise à roulettes.
Là, moi, la destination de Copenhague, mon avion à prendre, la porte G 26 …, tout m’est totalement égal. Ce que je veux seulement, simplement, c’est suivre Michael Lonsdale et sa valise à roulettes …
Mais bon … quelques heures après, nous atterrissons à Kastrup.
Et donc, je me souviens de Copenhague, je me souviens qu’il faisait beau et parfois un peu frais, alors nous restions en terrasse enveloppés d’un plaid que l’on replie et laisse sur la chaise quand on s’en va. Je me souviens avoir manger des harengs marinés à la cannelle, à l’orange confite, aux oignons doux, au cherry, aux clous de girofle, de l’anguille fumée, un carrot cake en regardant la côte suédoise juste en face …
Je me souviens aimer les peintres danois qui excellent dans la peinture du silence, la cabane en bois jaune de Per Kirkeby qui curieusement m’amène dans les forêts de Sibérie, voyage virtuel du à la lecture du moment, la femme au visage dur, tête baissée, le fond bleu et froid d’Erik Hoppe, et Hammershoi, dont il ne faut rien dire, cela ferait vraiment trop de bruit.
Je me souviens de la petite sirène et de tous ces gens qui lui tournent le dos pour se faire prendre en photo avec elle, elle-même regarde vers la mer, ainsi, personne ne regarde personne, mais tout le monde est sur la photo, n’est-ce pas le plus important ?
Je me souviens du très bel appartement que nous avons loué, blanc et vide, dans Henrik Ibsens Vej, de l’épicier italien au coin de la rue d’en face et de ses pizzas chaudes façon new-yorkaises (on s’y perd).
Je crois que je pourrais vite m’habituer au principe des deux petites couettes dans le grand lit et de ne pas mettre de rideaux aux fenêtres, un peu moins vite, toute fois …Je crois qu’ici et seulement ici, je pourrai faire du vélo en ville.
Nous nous souvenons nous être beaucoup amusés dans Shadow 2 de Shilpa Gupta, f. et moi et les autres visiteurs, si bien que nous échangions des sourires entendus lorsque nous nous sommes retrouvés au café de l’Arken pour manger un hareng à la crème.
Je me souviens que nous avons regardé avec une envie grandissante, tous les jours dans la boutique en bas de chez nous, un fauteuil en bois blanc au design scandinave ; que le dernier jour, nous avons osé entrer et demander le prix  et la surprise n’était pas là où nous l’attendions : oui, le prix fait que le fauteuil reste dans la boutique où il est du plus bel effet ! et non, en fait le designer est portugais !!!
Je me souviens, le dernier jour, dans le musée que nous ne comptions pas visiter, mais bon, il ferme dans deux heures, on est juste en face … avoir pleuré devant une salle à manger orange et bleu de Bonnard (Bonnard me fait souvent cet effet là, il faut le savoir si un jour on visite Orsay ensemble !). Marthe (?) se penche en avant vers le tout petit museau du chien qui dépasse de la table …Elle lui parle. Toutes les toiles de Bonnard me ramène .
Je me souviens aussi avoir acheté un stone rolling pin green dans son étui de coton blanc, de l’avoir trouvé dans une boutique un peu comme s’il m’avait donné rendez-vous et d’être très heureuse de savoir qu’il est aussi dans une maison amie, dans une autre ville.
Je me souviens de plein d’autres choses et je me souviens d’avoir aimé cette ville, ce trop court séjour, je me souviens d’avoir envie d’aller voir la mer.

jeudi 23 août 2012

De la rentrée littéraire


Je ne me souviens de rien pour l'instant, car je n'ai encore rien lu de la rentrée littéraire ! Mais irrésistiblement attirée par le titre " Autobiographie des objets " et par son auteur François Bon, je regarde cette courte vidéo et entends cette phrase qui me renverse "regarder les objets, convoquer les fantômes. Ils sont venus."
Dans ma valise des jours de vacances qui approchent, il y aura aussi ça, évidemment. Où, cette fois, il est dit " la vie comme un jeu de l'oie ". Être désarçonné, tomber, remonter.
Partir en vacances.


mardi 14 août 2012

les étés de l'enfance


 
Je me souviens des étés de mon enfance, c’était ratatouille et melon au porto. (Évidemment, je n’avais pas le droit au Porto. Quand j’ai pu y goûter, et bien, je n’aimais pas tellement ça.) On mangeait les restes de ratatouille le lendemain avec des œufs cuits dedans. Je faisais de longues siestes (toujours pas compris la sieste courte !) sous l’édredon à plumes de ma grand-mère (oui, en Bretagne, on fait des siestes sous des édredons !). On pique-niquait au bord de la mer le soir après avoir bu l’apéritif à l’Abri côtier. Parfois, il fallait mettre un petit gilet à manches, en coton, sur le maillot, pour ne pas avoir froid. On mangeait des tomates en croquant dedans, ça pouvait couler jusqu’au coude, et du pâté Hénaff qui n’était pas du tout à la mode (trouvé il y a quatre ans à New York à un prix tout à fait prohibitif dans une épicerie fine chiquissime !). J’avais le droit d’aller à la papeterie toute seule. Il n’y avait que la rue à traverser. J’achetais déjà des cahiers, des carnets (j’avais sept ans, huit ans … ) dans lesquels je collais des images, des décalcomanies … L’odeur me serrait un peu le ventre, car tout ce papier neuf, c’était aussi bientôt l’école, la rentrée, mais je ne pouvais quand même pas y résister et je passais l’été à remplir mes carnets une fois l’heure du cahier de vacances faite. Je me souviens aussi de l’odeur du tube de colle. J’essayais de le faire tenir en équilibre sur son bouchon cranté au bout arrondi, la tête un peu relevée pour ne pas que ça coule trop. Je préférais, bien sûr, l’odeur de la colle dans le petit pot avec la spatule, mais ça faisait des gros pâtés sous l’image, le résultat était moins beau. Je lisais les livres de la bibliothèque rose, surtout le club des cinq, les aventures de Claude, Annie, François, Michel et le chien Dagobert. Les escaliers de l’immeuble pour monter au premier étage où habitait ma grand-mère étaient cirés. C’était glissant et odorant. Je me souviens de la grosse boîte de cire, ronde, jaune, en fer avec un couvercle qui s’emboîte. Il fallait un couteau pour l’ouvrir ; avec les ongles, on n’y arrivait pas. Aller chercher le courrier en chaussettes était une expédition dangereuse. Le jeu était de descendre et monter le plus vite possible sans tomber, mais aussi glisser, se rattraper avec le coeur qui fait un bond dans la poitrine. Parfois, il y avait une lettre de mon père que ma mère lisait à haute voix.

vendredi 10 août 2012

des films, des images

 
Je me souviens de films et d’images :
Dans Stranger than paradise, Éva et Willie mangent face à face, un bibelot kitchissime et incongru posé sur la table, entre eux deux.
Dans India Song, les trois corps, Anne-Marie Stretter  et ses deux amants, allongés à même le sol de la maison, côte à côte, ils ne se touchent pas.
Dans Les nuits de la pleine lune, dans un bar « anonyme », Octave sort un carnet bleu à spirale de sa poche et prend des notes pendant que Louise descend aux toilettes, une pochette jaune rayée de noir, façon tigre, à la main.
Dans Still walking, la mère, après le bain du soir, va étendre sa serviette de toilette sur un fil à linge, dehors.
Dans la Piscine, Jean-Paul et Harry prennent un petit déjeuner au bord de la piscine, Harry est affamé, Jean-Paul non, je ne sais plus s’il boit même un café
Dans petits arrangements avec les morts, Zaza demande toujours l’heure qu’il est. On ne sait pas très bien si c’est pour ne pas rater le poissonnier et les langoustines du repas du soir ou pour prendre une petite pilule qui rend la vie plus belle. Sa sœur et ses frères se demandent pourquoi elle n’a pas de montre.
Dans Brodeuses, j’aime toutes les images. Claire prépare quelques broderies qu’elle a réalisées pour les montrer à Madame Melikian, elle les dépose d’une main sûre à plat sur un papier de soie blanc, elle hésite pour la dernière, celle avec la fourrure de lapin, et finalement, oui … le bruit du papier qu’elle replie.

Dans trois de ces films, le même geste de femme de lisser un tissu du plat de la main d’un geste bref, pour enlever un pli parfois imaginaire.

dimanche 29 juillet 2012

un rêve

 
Je me souviens avoir rêvé que f. me peignait les cheveux. Je suis au lit, enroulée dans les draps, j’ai les cheveux mouillés, il les démêle sans me faire mal, ce qui me surprend. Du fond du lit, je sais que tous les cotons tiges sont sortis de leur boîte. Je le sais à tel point que lorsque, réveillée, j’irai dans la salle de bain, je serai étonnée de les voir tous bien rangés. Et ce rêve m’apparaîtra alors seulement.
Je me souviens que lorsque quelqu’un se met à raconter ses rêves, cela m’ennuie profondément ou m’incommode (pudeur - impudeur!) sauf quand je fais partie du rêve !
Je me souviens que j’avais aimé lire Train de rêves, mais moins Rêve je te dis.
Question d’humeur du temps, probablement. Je crois qu’aujourd’hui, ce goût de lecture serait inversé.

dimanche 15 juillet 2012

La liste de Kenneth


Randonnées extravagantes.
Voyages parmi les idées et les îles.
Les chants du dragon dans le tronc de l’arbre mort.
Les cinq pétales ouverts, le fruit mûr.
Les aspirations de l’oie sauvage auxquelles ne peuvent rien comprendre les poussins qui pépient.
Le geste qui peut remuer ciel et terre.
Séjour dans la caverne du dragon bleu.
Vie et pensée itinérantes.
Une voie sans nom.
Marcher seul sous le ciel rouge.
Chevaucher le tigre.
Voyager sur le fleuve du temps et de soi-même.
Écouter les cris dans la rue et le vent dans les pins.
Connaître la porte au fond de la ruelle et la cascade sur la montagne.
Avoir l’esprit tranquille, de sorte que même le feu est rafraîchissant.
Suivre toutes les étapes de la sensation sur le chemin de la grande connaissance.
Être sur la route sans avoir quitté la maison, être dans la maison sans avoir quitté la route.
Accumuler les images de ce qui n’a pas d’image.
S’en aller en Orient le matin, revenir en Occident le soir.
Prendre le bac, sans être pressé d’atteindre l’autre rive .
Parfois vêtu, parfois nu.
Sur le chemin qui traverse les trois royaumes.
Manger son riz dans cent villes, laver son bol sur cent îles.

Kenneth White, scènes d’un monde flottant

Bon, d'accord, je me souviens que je reviens d'un stage de yoga ! 

lundi 25 juin 2012

trois jours ailleurs

 
Je me souviens de Bologne dans la première semaine de juin. Je marche dans les rues, sous les soixante-dix kilomètres d’arcades, même si l’intensité du soleil n’a pas encore besoin que l’on s’en protège. Je fais des photos, je mange des glaces  arancia, yaourt, pamplemousse rose. Il n’y a plus de parfum cédrat, celui qu’on dit être le meilleur. Revenir, alors. Je mange, évidemment, des tortelloni, de la burrata di buffala. La septième des sette chiese est celle que je préfère, la plus ancienne, la plus dépouillée. Une messe au Xè siècle, c’était comment ? Je perds mon petit bracelet rouge dans la campagne bolognaise. Il ne me reste plus qu’à l’imaginer au pied de la grande maison abandonnée, celle aux couleurs des toiles de Morandi, celle habitée par le fasciste, dans les années quarante et dont personne ne veut plus. Je me souviens déambuler lentement dans Santa Maria dei servi au son du répétiteur d’orgue qui annote sa partition, je me remplis des fragments des fresques dans le manque de lumière de la basilique. Sur un mur, un chien cherche une caresse vers une main qui se tend, une femme enceinte assise, une écuelle, tout le reste a disparu. Il est vingt et une heure, nous rentrons dîner en marchant doucement. Je me souviens dans l’après-midi avoir croisé des femmes élégantes dans leur petite robe noire, leurs chaussures qui dénudent les pieds, les ongles peints d’un rouge éteint qui s’accorde aux « tenda rossa » des fenêtres. Un autre jour, dans un appartement comme une caverne de la via Marsala où les étagère emplies de dvd couvrent les murs, nous regardons quelques images de Bright Star. Les très jolis vêtements de l’héroïne, les lumières d’une autre campagne. Être ailleurs. Être à Bologne pour trois jours. Et puis, à l’escale de Munich ou Monaco, il pleut, j’achète un crayon pour prendre quelques notes avant qu’elles ne s’échappent, avant que le retour de l’ailleurs ne fasse son travail. Pour l’en empêcher tout à fait, le chérubin en bois acheté au marché prendra place dans notre salle de bain.

mercredi 6 juin 2012

une belle semaine passée

 
Je me souviens, c'était il y a quinze jours (Alzheimer, tiens-toi loin de moi).
Le jour du carnet ligné orange, de la pluie sans fin et donc, du parapluie rayé qui s’envolera au premier vent, le jour où je n’achète pas de livre, de film, de vêtement, car je n’ai pas de désir, un jour d’errance : l’outil indispensable au travail ne fonctionne pas. Demain, c’est mon anniversaire. f. m’offrira un bracelet à la couleur incertaine car changeante, un vêtement gris aux manches dans lesquelles on glisse le pouce, un film thaïlandais, un dîner parfait. Ici se glissera aussi un tout petit paquet qui fait une grande et belle surprise et une plaquette de chocolat délicatement parfumée à la rose. Une jolie jeune femme poussera la porte du travail à onze heures tapantes et me déposera un bouquet de fleurs enveloppé de papier blanc et simple. Tout sera bien, et le jour d’hier s’envolera. Cette semaine, enfin, nous dînerons sur la terrasse, ça veut dire du soleil, une température clémente et un temps plus lent entre le premier verre et l’assiette pleine de légumes de couleur verte cuits à l’étouffée avec le riz sauvage (ajouter un émincé de citron confit et une pincée de piment d’espelette une fois la cuisson aboutie). En guise de week-end, nous réfléchirons sans fin et sans solution à transformer notre terrain en jardin. émile semble comprendre nos états d’âme : il se couche tous les soirs à la même heure SUR les herbes aromatiques que je m’évertue à faire pousser. Nous avons donc un chat qui sent le basilic et le romarin ! Nous aurons aussi déjeuné de sushis en agréable compagnie et oublié d’aller vernir une exposition.

mercredi 30 mai 2012

des petits anges

 
Je me souviens, j’ai vingt ans. Je suis étudiante à Paris et l’été, je reviens chez mes parents en Bretagne. Je travaille, pendant deux mois, dans un village de vacances pour familles, au service « crèche » . Avec une équipe de jeunes étudiants, nous gardons des enfants de 3 mois à 4 ans. Je me souviens donc m’être occupée d’une petite Sue Ellen de quelques mois ! Je me suis toujours demandée comment elle prendrait le fait de porter le prénom d’une héroïne de série américaine dépressive et alcoolique ! Effectivement, l’univers peut être impitoyable. La  preuve : un bébé qui dort tout le temps, cela nous inquiète ; le papa, seul en vacances avec son enfant nous explique qu’il lui donne un peu de Valium pour ne pas qu’il nous dérange. Un bébé obèse qui n’entre dans aucun siège que nous possédons, nous n’avons d’autre choix que de le porter ou de l’allonger. Une maman qui nous explique qu’elle a récupéré son petit, hier, la couche à l’envers, le plastique collé à la fesse (est-ce ici que je précise qu’il y a des garçons dans notre équipe !). Le petit garçon qui vient chercher de l’aide parce qu’il a mal à son short (un petit fil de nylon rebelle le pique à un endroit particulièrement sensible). L’enfant qui reste avec nous, tous les jours, de l’heure d’ouverture à celle de fermeture, soit 12 heures d’affilées, la maman nous expliquant que ce service crèche est offert dans le prix, alors elle en profite et puis vous comprenez « je vais à la plage toute la journée, je ne peux donc pas l’amener». Non, on ne comprenait pas. On ne comprenait pas non plus le petit garçon couvert de gale, ni celui avec les traces de brûlures de cigarettes (les parents très en colère par nos signalements au médecin), la petite maman de quinze ans a qui nous expliquions qu’on ne gifle pas un si petit enfant …Mais il y avait aussi les triplés, blonds comme les blés et tout mignons, les quintuplés qui fonctionnaient en grappe, le plus grand me regardant avec envie lorsque je m’en allais et me demandant si « j’allais dans la maison de moi, voir la maman de moi », les parents encore tout à leur étonnement épuisé d’avoir cinq enfants de trois ans, ceux qui parlent déjà comme des grands, celui qui ne parle pas, mais trotte vite, champion hors catégorie de la trace de dents sur les bras, les joues des autres …
L’école de la vie, le temps de ce qui était cependant pour moi les vacances.

mardi 15 mai 2012

les demandes en mariage

 
Je me souviens, à l’âge de douze, j’avais déjà été demandée deux fois en mariage ! C’est le côté exotique de la vie africaine. Un vieux, très vieux chef de village qui trouvait absolument fascinant qu’à mon âge, j’aie déjà pris plusieurs fois l’avion. Il explique donc à mon père qu’il aimerait se marier avec moi, car ma présence à ses côtés assoirait encore un peu plus grandement sa position de chef. Bon, il a déjà quatre femmes. Il a donc un problème à résoudre avant de pouvoir m’épouser. Il faudrait que mon père me ramène dans quelque temps, peut-être que son problème se serait résolu de lui-même ! Mon père a expliqué le plus diplomatiquement possible que nous allions bientôt rentrer en France, où je devais continuer à aller à l’école …
L’autre prétendant est le propriétaire d’une petite boutique, sur le bord d’un trottoir, juste en face de chez nous. Il vend du pain, des cigarettes et des allumettes à l’unité, des sodas, des bouteilles d’eau ... Le pain ressemble à une baguette, mais le taux d’humidité aidant, on peut faire un nœud dans ce long morceau de pâte sans le casser ! (pourquoi mes parents achetaient ce truc ?) Il m’est arrivé un jour, en croquant dedans (croquer !) de mordre également dans le cafard qui avait cuit dans le pain. Et donc, cet homme, quand même plus jeune que le premier me demandait à chaque fois que j’allais acheter le pain si je ne voulais pas me marier avec lui. Je me souviens que cette demande réitérée m’angoissait. Même aujourd’hui, je suis incapable de savoir s’il plaisantait et s’amusait de ma peur ou pas ! Je ne voulais plus aller chercher le pain, ce que ma mère ne voulait absolument pas entendre, pensant, effectivement, qu’il se moquait de moi !
Finalement, mes parents m’ont ramenée avec eux en France et il a fallu que j’attende très longtemps avant qu’un homme me redemande en mariage. J’ai dit oui.

samedi 28 avril 2012

une petite fille brune, une petite fille blonde

 
Je me souviens, j’ai dix ans. Dans mon école, il y a deux filles amies entre elles, je les admire toutes les deux. Une blonde, une brune, elles ont toutes les deux de magnifiques cheveux longs, un peu ondulés pour la petite fille blonde, très lisses et brillants pour la petite fille brune dont la mère est vietnamienne (je la vois à la sortie de l’école). Elles me semblent toutes les deux très heureuses, très à l’aise …
La blonde aux cheveux ondulés habite mon quartier, on se croise de temps en temps chez le marchand de pain (on ne peut pas appeler ça une boulangerie, je vous raconterai une autre fois), je lui souris, mais elle ne me reconnaît pas, je pense même qu’elle ne me voit pas. Du haut de mes dix ans, son absence de regard sur moi me renvoie à mon insignifiance.
Pour la kermesse de fin d’année (à laquelle, année après année, je refusais obstinément de participer), elles ont chanté en duo une chanson de Johnny et Sylvie (ça aurait dû calmer mon admiration !). Elles avaient l’air de beaucoup s’amuser, le public riait. Elles avaient inventé une chorégraphie. Je regardais. Ca faisait plutôt mal.
L’année d’après, Dominique est arrivée dans ma classe, une grande fille longue, fine, métisse. Nous sommes devenues les meilleures amies du monde. Elle avait deux grandes sœurs très belles qui m’aimaient bien. Finalement, tout allait bien, mais pas au point de participer à la kermesse, tout de même.

dimanche 15 avril 2012

de l'art de se vêtir


Je me souviens qu’étudiante, à l’âge de vingt ans, je travaillais les samedis et lundis dans les très grands magasins parisiens du boulevard Haussmann. C’est là que j’ai découvert que le problème de mon corps de femme à envisager le vêtement qui me siérait le mieux n’allait pas forcément se résoudre avec l’âge ! J’ai ramassé des tonnes de vêtements que les femmes emmènent dans les cabines, laissent au sol et visiblement, piétinent. J’ai désespérément essayé de faire rentrer un corps quarante deux dans un trente huit, pour m’entendre dire que visiblement je ne savais pas convertir une taille italienne en taille française, j’ai vendu à la même personne en une fois huit pulls de même forme et de couleurs différentes. Chaque pull coûtait le salaire de la vendeuse que je remplaçais pendant son jour de congé. Je les ai livrés dans un somptueux appartement du quinzième arrondissement. J’ai aussi vendu un pantalon à une actrice allemande qui joue parfois dans des films français où l’on entend son magnifique accent, un autre à une célèbre auteur de bande dessinée dans laquelle son héroïne A. a des problèmes existentiels avec les fringues. J’ai vendu la jupe que je portais à un homme qui la voulait absolument pour sa femme ! J’ai retrouvé une petite culotte dans la cabine d’essayage (trois fois dans ma vie, j’ai trouvé des culottes dans des endroits où je ne voyais pas bien ce qu’elles avaient à y faire !). Et j’ai aussi reçu un harem ! Envol d’oiseaux noirs qui dévastent le stand en rigolant bien. Des hommes se plantent devant les cabines pour qu’aucune vendeuse n’entre. En trois heures, elles ont généreusement dépensé deux millions de francs. C’était la première fois que je ne voyais absolument rien du corps d’une femme, ni les mains enfouies dans des gants en cuir, ni les yeux cachés derrière un fin grillage argenté ! Enfin, c’est là que j’ai appris que se choisir un vêtement n’est ni frivole, ni forcément léger et qu'il peut se jouer là de grandes douleurs existentielles. 

lundi 9 avril 2012

De l’ordre du festin


Du champagne, des framboises, des mangues, du thé vert japonais, un oolong de chine, un verre de lait fermenté, des asperges, des artichauts violets en salade, un parfum de coriandre, un verre de vin blanc sur la terrasse, quelques huîtres pour une fin de matinée très fraîche, un verre de vodka glacée au milieu d’une nuit d’été, des sushi aux œufs de saumon, un sandwich au fromage et un verre de rouge avec mon homme, au café Garonne, en attendant le spectacle, le limoncello de J., un smoothie  assise sur un tabouret bleu  Luong Ngoc Quyen Street à hanoï, un chocolat brûlant sur un comptoir en bois à Sienne, un cheesecake chez Eileen à Manhattan, un whisky – glaçon dans l’appartement de Brooklyn, la purée mousseline pleine de beurre de maman, une crème aux œufs parfumée au thym, le taboulé vert persil de papa, la vue d’un biscuit Chamonix (mais pas le goût !),  un filet d’huile d’olive coulé sur un morceau de pain, un scone à l’autre salon de thé, un chawarma chez adonis, il y a très, très longtemps, un dîner en amoureux au jardin gourmand, un bol de nouilles au tofu chez qualité, qualité (en fait, une micro cantine chinoise sans nom), un déjeuner de printemps au Moaï, une salade de nems au kiosque à nems s'il fait assez beau pour s'assoir dehors, une banane mixée avec du tofu soyeux, la liqueur de verveine de m., l’odeur d’un curry-coco qui mijote, tous mes dîners d’anniversaire préparés par f.

mercredi 4 avril 2012

deux grammes de sel

 
Je me souviens avoir porté en douce, à l’hôpital, trois huîtres et du vin blanc, à mon père, un dimanche matin. Ce n’est pas qu’il n’avait pas le droit, mais c’était plus drôle sans demander, faire comme si c’était interdit. C’était une période où il y avait une fin de non-recevoir hospitalière à son appel désespéré d’avoir un peu de sel dans ses aliments. Il a fait une grève de la faim, trois jours. Il a gagné et pris un malin plaisir à manger son premier repas, des carottes, sans ouvrir le petit paquet de deux grammes posés à côté de son assiette. Ca s’appelle très clairement une tête de mule ! Je me souviens que j’étais inquiète, énervée de tout ça, qu’aucun des deux ne veuille céder, et aussi admirative de tant de volonté à circonscrire son lieu de pouvoir, si petit soit-il, à l’hôpital. Je me souviens que je me disais que cette volonté, génétiquement, elle devait bien être quelque part en moi.
Et aussi cette éternelle bonne humeur quand la douleur donne du répit. Mais là, f. dit que j’ai encore un peu de travail !

jeudi 29 mars 2012

La liste du Dormeur éveillé


Je me souviens que dans les listes que j’aime, il y  a celle-là :

Vœux non exaucés (à ce jour)

Traverser l’océan atlantique à bord d’un cargo mixte et pénétrer dans le port de New York accoudé au bastingage du pont avant.
Être médecin de campagne et accoucher une jeune femme aux joues roses dans sa ferme isolée.
Écrire un roman de cinq cents pages que ses lecteurs trouveront trop court.
Savoir dessiner comme Dürer, peindre comme Bonnard.
Interpréter Le Misanthrope et Oncle Vania à la Comédie-Française.
Faire rire aux larmes les spectateurs d’un café-théâtre et qu’ils en redemandent.
Gagner un tournoi de tennis contre un joueur beaucoup plus fort que moi.
Nager le crawl en souplesse un kilomètre.
Être le personnage inoubliable d’un roman, Porthos par exemple ou le Prince Mychkine.
Avoir un tableau de Caspar David Friedrich dans mon bureau.
Rester en silence au moins un mois dans un monastère.
Ne pas me réveiller d’une anesthésie générale.
Avoir une petite sœur ou une grande, ça dépend des jours.
Avoir connu ma mère petite fille en train de jouer en riant avec son frère.
Avoir connu mon père en jeune homme furtivement indocile.
Être doué pour quelque chose, n’importe quoi : la course à pied, le piano, la maçonnerie, le jardinage, le trapèze volant.
Mettre un point final à ces pages et écrire une autre rêverie à défaut de pouvoir être un visionnaire.

J-B Pontalis, le Dormeur éveillé.

Un grand merci à Consuelo, pour ces lignes.

dimanche 25 mars 2012

une semaine parisienne

  
Je me souviens qu'une semaine parisienne nous conduit hors de Toulouse qui en profite pour vivre des jours de drame, de tuerie, de haine, de deuil …
Notre chambre est grande et nous nous y posons peu. Dîner chez M. et B. de délicieuses pizzas blanches, dîner chez V. et A., nous parcourons Paris, sommes accueillis dans de petits appartements. Des salles du Louvre sont pour nous presque seuls, j’approche mon appareil photo  des pieds d’un saint Sébastien, d’une jeune femme de Botticelli aux voiles flottants, aux orteils gigantesques, je capture une nature morte de Chardin, plaisirs intemporels du verre de lait, des biscuits, des pommes. François pose pour moi sous les néons de la maison rouge. Nous nous arrêtons souvent dans des cafés. Nos téléphones ne se joignent pas, mais nous nous retrouvons dans la rue pour aller ensemble dans un magasin japonais où nous achetons des vêtements bleus. Je dis à Antoine que je suis végétarienne le jour où nous mangeons deux fois indien et où f. décrète que, finalement, il n’aime pas ça. Une artiste peint des paysages dans une maison au fond d'une cours - jardin, un peu comme dans le film d'Agnès Varda. Je passe une après-midi entière dans un magasin grand et chic muni de deux restaurants et d'un salon de thé en y donnant trois rendez-vous successifs. Le très grand plaisir de déjeuner avec V., de faire des projets ensemble, pour que l'histoire ne s'arrête pas là. Finalement, nous n'aurons pas le temps d'aller au cinéma.

samedi 17 mars 2012

Vieux et jeunes, dansez


Je me souviens du jour où j’ai vu Kontakthof avec mon père. Il avait soixante quinze ans et ses jambes étaient fatiguées, elles avaient décidé qu’elles ne le porteraient plus très longtemps. Sûrement, en avaient-elles fait assez. Mais les jambes des danseurs, elles, allaient bon train. Et le sourire de mon père aussi. Certains danseurs avaient son âge ; ils courraient, valsaient sur scène, questionnaient leur corps d’homme et de femme, vieillissant et séduisant, se séduisant.
Je me souviens qu’il voulait que le spectacle tourne dans les maisons de retraites afin que les vieux retrouvent le sourire, que leurs plaintes se calment.
Tout de même, à la sortie de la salle de spectacle, trois ambulances, au cas où …
Après, seule, au cinéma, j’ai vu de très jeunes gens, à ce même point de contact, faire l’apprentissage de leur corps, de ce qu’il saura exprimer en bougeant. Au théâtre, j’avais souri, au cinéma, j’ai pleuré. Mais les deux, c’était beau.

mardi 13 mars 2012

le printemps arrive

 
Je me souviens que chaque année, deux fois par an, exactement, une grande question existentielle se pose à moi et qui concerne une part délicate de mon individu : les pieds. La question est : quand enlever les chaussettes et collants au printemps, quand les remettre à l’arrivée de l’automne ? Ce « quand » est fondamental. Car une fois retiré ces pièces vestimentaires (prenons l’exemple du printemps qui arrive), il ne m’est pas possible de les remettre, ne serait-ce qu’une journée. Je ne saurai expliquer cette rigueur, voire cette rigidité, mais c’est ainsi.
Alors, deux fois par an, je goûte le frais qui arrive par le bas. Bientôt donc, j’irai par la ville, les pieds nus dans les chaussures, après des mois d’enfermement. Je suis parfois heureuse de rentrer, en fin de soirée, et de glisser mes pieds froids dans de délicieuses chaussettes accueillantes, avant de goûter un verre de vin sur la terrasse, là où nous retrouvons place en même temps que mes pieds se libèrent.

Ma grand-mère disait « On attrape froid par les pieds « Ma mère, elle, « tu ne trouveras pas de mari », parce que je dormais avec des chaussettes. C’est fou ce qu’on attrape ou pas, par les pieds.
Je suis rarement enrhumée et j’ai un mari …Comme quoi !

samedi 10 mars 2012

de l'évanouissement


Je me souviens m’être évanouie deux fois. La première fois, d’une douleur survenue quelques secondes avant le moment où je l’attendais. L’infirmière avait dit « on compte jusqu’à trois », mais elle a retiré vivement le drain à deux. Le saisissement de l’intensité de cette douleur et surtout, l’étonnement qu’elle soit là avant … je perds connaissance quelques secondes. Un médecin m’expliquera, des années plus tard, que mon mal de dos chronique vient de là, de cette surprise-là, qui fera que vingt ans durant, je tiendrai mon corps dans un geste de protection de ce lieu trahi et douloureux.
La deuxième fois, c’est au moment où je découvre que je viens d’être piquée par une cinquantaine de minuscules moustiques (je suis allergique !) qui se déplaçait en nuage rapide et invisible. Je regarde mes pieds, mes chevilles et en même temps que je vois la myriade de points rouges, une démangeaison incroyable me submerge, je suis au centre d’une vingtaine de personnes que je ne connais pas (nous sommes réunis pour trois jours de séminaire chiquissime !) Je m’écroule. Ca a duré quelques secondes. Je me suis effondrée sur les pieds d’un écrivain célèbre et aussi au milieu de la baie vitrée que tout le monde essayait de fermer pour que les moustiques n'entrent pas. Pour les trois jours de séminaire, j’ai des pattes d’éléphant et ne rentre dans aucune paire de chaussures ! Tout le monde prend de mes nouvelles, gentiment ; je suis désespérée de honte.
De l’évanouissement comme réponse à l’inconcevable de son propre corps.

samedi 25 février 2012

le vieil homme et le chien


Je me souviens, j’ai douze ans. Un vieil homme marche dans la rue devant notre immeuble, il semble avoir un malaise, fait quelques pas heurtés et tombe. Ma mère, toujours très efficace dans ces situations d’urgence, appelle les pompiers et descend en courant vers le vieil homme, notre chien sur les talons. Je reste à la maison, je regarde par la fenêtre. Les pompiers arrivent, discutent avec ma mère, d’autres gens arrivés entre temps, embarquent l’homme sur une civière. Ma mère et le chien remontent à la maison. Notre chien, un caniche gris toiletté (ben quoi, ma mère lui mettait un manteau à tissus écossais pour sortir les jours d’hiver, mon père refusant alors d'aller promener cet animal ainsi accoutré) bon bref – notre chien, visiblement très heureux de sa trouvaille,  dépose alors à nos pieds le dentier du vieil homme. Après quelques secondes d’étonnement, de dégoût, quelques minutes de fou rire tout en se battant avec le chien qui ne comprend pas pourquoi nous lui refusons cet os-là, ma mère enveloppe le dentier dans un mouchoir et file à l’hôpital rendre le dentier au vieil homme. Ainsi, nous avons su qu’il allait bien et était content de retrouver ses dents mystérieusement disparues. Je crois que ma mère avait été discrète sur le fait qu’elle était en possession d’un tel objet.

lundi 30 janvier 2012

les doigts dans le nez


Je me souviens qu'il y a parfois des gens qui  installent en vous une sorte de dégoût pour la journée. Permettez que je partage. Ce matin donc, dans le train qui me mène en un petit quart d'heure dans la ville où je travaille, je suis assise en face d'un papa et son petit garçon. Ce dernier joue tranquillement avec le contenu de sa trousse : ses ciseaux jaune et rouge, son tube de colle vert ... pendant que le papa a les yeux rivés sur son téléphone dernière génération, un doigt très enfoncé dans le nez. Je crois voir qu'il y trouve quelque chose d'intéressant, mais il glisse très vite le doigt chasseur sous le siège où il dépose sa proie. Peut-être pour le passager suivant ? Je vous souhaite une bonne journée.

jeudi 19 janvier 2012

nouvelle année

 
en deux mille douze, nous mangerons, nous câlinerons, nous dormirons, nous nous vêtirons, nous nous trouverons beaux, nous croiserons des gens qui resteront dans notre mémoire, nous lirons, nous ramènerons des trésors à la maison, nous boirons du champagne, du vin et de l’eau, nous irons au cinéma et au théâtre, nous serons emportés par des danseurs, nous surferons avec un plaisir léger sur la crête des choses et nous serons aussi touchés en profondeur par des mots, des images ou des pensées, nous irons dans des restaurants luxueux et d’autres, tout petits, en amoureux, nous écouterons les cantates de bach les matins des dimanches,  nous boirons du thé vert de chine, du japon, nous nouerons nos cheveux, nous les dénouerons, nous entendrons et verrons des choses attendues, inattendues, inouïes, belles et tristes, nous apprendrons la disparition de quelques uns d’entre nous, d’autres arriveront, nous nous assiérons  aux terrasses des cafés pour siroter, regarder, prendre le temps, nous voyagerons, nous écrirons des cartes postales, nous serons en colère, nous serons heureux, étonnés, nos amis seront là,
nous vivrons
 
Un grand merci à martine pour sa participation à l'image

mardi 3 janvier 2012

ma ville au cinéma

Je me souviens avoir vu hier soir au cinéma un film qui se passe dans ma ville natale, une ville portuaire de Bretagne. Histoire d’adolescence là où j’ai passé la mienne. Alors les souvenirs remontent. Lorsque les filles du film se baignent dans une mer pas très chaude, je me souviens d’un bain de mer prolongé avec une amie, vers le mois de juin. Nous ne pouvions plus sortir de l’eau, car notre prof. d’allemand arpentait la plage et il était tout à fait impossible qu’il nous voit en maillot ! (oui, la vie dans une petite ville de bord de mer a ses inconvénients que la petite ville de montagne ne connaît pas !).  Assises sur un tourniquet, elles s’ennuient en ville, mais ne veulent pas « marcher comme les vieilles ». Je me souviens, le samedi après-midi, avoir parcouru cette ville en long et en large, la librairie sérieuse où je n’osais pas encore trop entrer ! lui préférant l’enseigne populaire d’en face, les chocolats chauds d’un bar aux sièges en velours rouge troués de brûlures de cigarette, le cinéma Le Royal où il n’y avait pas de films art et essai … Je me souviens aussi de l'odeur de la ville, du bus qui allait jusqu'au port de pêche et qui ramenait vers mon quartier les effluves écoeurantes des cargaisons des bateaux. Mais dans ce film, ma ville était belle, vue de loin.